L’enseigne Leader Price s’offre Jean-Pierre Coffe. Mais n’est-ce pas au risque de le « bouffer » ?
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L’enseigne Leader Price s’offre Jean-Pierre Coffe. Mais n’est-ce pas au risque de le « bouffer » ?
L’enseigne Leader Price s’offre Jean-Pierre Coffe. Mais n’est-ce pas au risque de le « bouffer » ?
Cette fois, en choisissant Jean-Pierre Coffe, l’enseigne Leader Price a été plus inspirée dans sa nouvelle campagne de publicité. Dans les années précédentes, elle s’était offert les services de deux footballeurs pour vanter ses qualités. Que venaient faire dans cette galère ces jongleurs de ballon ? On se demande. Zidane dispensait alors ses conseils à tout va ; après Generali, Volvic et Dior, il avait même son mot à dire sur la grande distribution à bas coûts pourvu que le cachet versé soit attractif : il prétendait au ballot de badaud qu’il « (adorait le) faire gagner. » Sans blague ! Ronaldinho, lui, assurait que « pour (son) café, (il faisait) équipe avec Leader Price ». Un peu fort de café tout de même ! Mais faire gagner, faire équipe, que demander de plus à des ignares ?
La star prescriptrice, malgré son incompétence avérée
N’importe ! Une star à l’affiche est la quasi certitude de capter l’attention de ses fans. Mais en faire un argument d’autorité et l’ériger en prescriptrice en usant de son pouvoir de séduction, n’est pas assuré. C’est paradoxal et risqué de confier la promotion d’une enseigne de grande distribution à bas coût à des footballeurs dont les revenus astronomiques n’en font pas des clients attitrés. Comment ne pas sentir dans l’opération une condescendance et un mépris aussi sidéraux que leur fortune ? À nous, les stars, les grandes marques du luxe, à vous les gagne-petit Leader Price ! De plus, leur incompétence en la matière est entière.
Un argment d’autorité par pouvoir de séduction
Mais, aussi paradoxal que cela soit, cette incompétence n’affecte pas pour autant l’autorité qu’exerce la star, tirée de la relation irrationnelle qu’elle entretient avec ses fans. Celle-ci dispose, en effet, de deux atouts qui lui confèrent une autorité par pouvoir de séduction :
1- d’abord, sa virtuosité dans une activité secondaire souvent frivole et/ou son apparence physique déclenchent un réflexe inné d’attirance sexuelle.
2- Ensuite, sa réussite sociale mesurée à son train de vie fastueux et sa notoriété qu’entretiennent, à longueur de temps, les médias de masse, suscitent une admiration qui ne souffre pas d’être contredite. Elle stimule ainsi un autre réflexe inné d’attirance, celui de l’identification chez ses fans avec les avantages qui en découlent : sa parole de feu est accueillie religieusement par des fans en état de réceptivité maximale, au point de croire à une relation interpersonnelle privilégiée entre eux et elle. Ici, par exemple, le procédé de l’image mise en abyme entretient cette illusion : Zidane et Ronaldinho fixent ainsi droit dans les yeux le badaud, comme s’ils ne s’adressaient qu’à lui. Le slogan prêté à Zidane tend même à lui faire croire qu’il est au centre de ses préoccupations. Le comble de l’imposture est que c’est l’inverse qui se produit : c’est l’attention de ses fans pour elle qui fait la fortune de la star.
Ses comportements deviennent, en effet, des modèles que les fans s’empressent d’imiter ; tous les objets que touche la star, gagnent un statut de reliques concentrant sur elles les feux du désir inassouvi et ceux du rayonnement dont la star les auréole. Au terme de ce chemin parcouru par les fans pour adhérer à leur star, on voit qu’importent peu savoir et compétence, mais que priment une croyance et une relation érotique unilatérale purement fantasmée, qui font que « le médium » - la star – « est » à elle seule « le message ». Et l’objet dont elle vante les qualités, en ressort validé et désirable.
Une star de l’éducation gastronomique
L’enseigne Leader Price a préféré pourtant inverser la donne pour sa nouvelle campagne publicitaire. Elle est allée chercher sans doute une star, Jean-Pierre Coffe, mais de moindre notoriété et d’un genre opposé. En regard des jongleurs de ballon, on ne peut, en effet, dénier à Jean-Pierre Coffe une certaine compétence en matière de gastronomie. Il s’est, en effet, surtout fait connaître, pendant dix ans, par une émission sur France Inter, entre 1998 et 2008, le samedi entre midi et 13 heures, dont le titre était tout un programme éducatif : on y entendait la mise en garde d’un père faite à table à ses enfants : « Ça se bouffe pas, ça se mange ! », corrigeait-il en apprenant à faire la différence entre l’absorption sauvage de nourriture et sa dégustation humaine. Il se faisait le défenseur de la gastronomie française avec des produits frais du terroir, n’hésitant pas à stigmatiser son contraire, « la malbouffe » industrielle. On croyait déjà déguster les mets à l’entendre goûter à pleine bouche en ronronnant les mots dont il les célébrait.
C’est dire quelle autorité en matière de qualité culinaire l’enseigne Leader Price s’est offerte sur ses affiches. Dans une mise hors-contexte sur fond blanc, l’attention se concentre sur un Jean-Pierre Coffe campé par deux métonymies. L’une respire la sobriété et l’économie que prétend incarner Leader Price : Coffe est en simple chemise, col ouvert. L’autre est celle du grand père, tête d’œuf et lunettes d’écaille ronde, dont l’expérience lui donne le droit d’émettre un avis même sans être sollicité. Il fixe des yeux le lecteur, selon le même procédé de l’image mise en abyme, pour lui faire la leçon : « Dépenser c’est dépassé » lui jure-t-il d’un air déterminé, dans une autre métonymie de la conviction du maître qui ne souffre pas d’être contredit, tandis qu’il pointe de l’index Leader Price où il prescrit d’aller sans hésiter.
Le jeu de mot « dépenser »/« dépasser » prétend établir une équation de sens par quasi équation de sons, bien dans la veine de la gouaille du pourfendeur de « la malbouffe » qui n’hésite pas à engager sa signature manuscrite, des fois que des passants ne le reconnaîtraient pas. Serait-ce donc que le prix ne fait pas la qualité ? Au besoin, proche des couleurs nationales du pays réputé pour sa gastronomie, l’assortiment de couleurs bleu blanc rouge de l’affiche sollicite en passant la préférence nationale du lecteur, bien que le nom de l’enseigne Leader Price lui soit étrangère.
Reste à savoir surtout si les produits de l’enseigne Leader Price sont bien à la hauteur de la réputation du nouveau prescripteur qu’elle s’est choisi de préférence aux incultes footballeurs. Dans le cas contraire, c’est Jean-Pierre Coffe qui, pour un cachet publicitaire, court le risque de compromettre un crédit acquis pendant dix ans dans l’éducation gastronomique à la portée de tous : ce serait dommage qu’il se fît « bouffer » à son tour, lui qui s’est tant dépensé pour enseigner à ses contemporains la noblesse de l’art de « manger ». Paul Villach
(Source : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-enseigne-leader-price-s-offre-57039 )
Cette fois, en choisissant Jean-Pierre Coffe, l’enseigne Leader Price a été plus inspirée dans sa nouvelle campagne de publicité. Dans les années précédentes, elle s’était offert les services de deux footballeurs pour vanter ses qualités. Que venaient faire dans cette galère ces jongleurs de ballon ? On se demande. Zidane dispensait alors ses conseils à tout va ; après Generali, Volvic et Dior, il avait même son mot à dire sur la grande distribution à bas coûts pourvu que le cachet versé soit attractif : il prétendait au ballot de badaud qu’il « (adorait le) faire gagner. » Sans blague ! Ronaldinho, lui, assurait que « pour (son) café, (il faisait) équipe avec Leader Price ». Un peu fort de café tout de même ! Mais faire gagner, faire équipe, que demander de plus à des ignares ?
La star prescriptrice, malgré son incompétence avérée
N’importe ! Une star à l’affiche est la quasi certitude de capter l’attention de ses fans. Mais en faire un argument d’autorité et l’ériger en prescriptrice en usant de son pouvoir de séduction, n’est pas assuré. C’est paradoxal et risqué de confier la promotion d’une enseigne de grande distribution à bas coût à des footballeurs dont les revenus astronomiques n’en font pas des clients attitrés. Comment ne pas sentir dans l’opération une condescendance et un mépris aussi sidéraux que leur fortune ? À nous, les stars, les grandes marques du luxe, à vous les gagne-petit Leader Price ! De plus, leur incompétence en la matière est entière.
Un argment d’autorité par pouvoir de séduction
Mais, aussi paradoxal que cela soit, cette incompétence n’affecte pas pour autant l’autorité qu’exerce la star, tirée de la relation irrationnelle qu’elle entretient avec ses fans. Celle-ci dispose, en effet, de deux atouts qui lui confèrent une autorité par pouvoir de séduction :
1- d’abord, sa virtuosité dans une activité secondaire souvent frivole et/ou son apparence physique déclenchent un réflexe inné d’attirance sexuelle.
2- Ensuite, sa réussite sociale mesurée à son train de vie fastueux et sa notoriété qu’entretiennent, à longueur de temps, les médias de masse, suscitent une admiration qui ne souffre pas d’être contredite. Elle stimule ainsi un autre réflexe inné d’attirance, celui de l’identification chez ses fans avec les avantages qui en découlent : sa parole de feu est accueillie religieusement par des fans en état de réceptivité maximale, au point de croire à une relation interpersonnelle privilégiée entre eux et elle. Ici, par exemple, le procédé de l’image mise en abyme entretient cette illusion : Zidane et Ronaldinho fixent ainsi droit dans les yeux le badaud, comme s’ils ne s’adressaient qu’à lui. Le slogan prêté à Zidane tend même à lui faire croire qu’il est au centre de ses préoccupations. Le comble de l’imposture est que c’est l’inverse qui se produit : c’est l’attention de ses fans pour elle qui fait la fortune de la star.
Ses comportements deviennent, en effet, des modèles que les fans s’empressent d’imiter ; tous les objets que touche la star, gagnent un statut de reliques concentrant sur elles les feux du désir inassouvi et ceux du rayonnement dont la star les auréole. Au terme de ce chemin parcouru par les fans pour adhérer à leur star, on voit qu’importent peu savoir et compétence, mais que priment une croyance et une relation érotique unilatérale purement fantasmée, qui font que « le médium » - la star – « est » à elle seule « le message ». Et l’objet dont elle vante les qualités, en ressort validé et désirable.
Une star de l’éducation gastronomique
L’enseigne Leader Price a préféré pourtant inverser la donne pour sa nouvelle campagne publicitaire. Elle est allée chercher sans doute une star, Jean-Pierre Coffe, mais de moindre notoriété et d’un genre opposé. En regard des jongleurs de ballon, on ne peut, en effet, dénier à Jean-Pierre Coffe une certaine compétence en matière de gastronomie. Il s’est, en effet, surtout fait connaître, pendant dix ans, par une émission sur France Inter, entre 1998 et 2008, le samedi entre midi et 13 heures, dont le titre était tout un programme éducatif : on y entendait la mise en garde d’un père faite à table à ses enfants : « Ça se bouffe pas, ça se mange ! », corrigeait-il en apprenant à faire la différence entre l’absorption sauvage de nourriture et sa dégustation humaine. Il se faisait le défenseur de la gastronomie française avec des produits frais du terroir, n’hésitant pas à stigmatiser son contraire, « la malbouffe » industrielle. On croyait déjà déguster les mets à l’entendre goûter à pleine bouche en ronronnant les mots dont il les célébrait.
C’est dire quelle autorité en matière de qualité culinaire l’enseigne Leader Price s’est offerte sur ses affiches. Dans une mise hors-contexte sur fond blanc, l’attention se concentre sur un Jean-Pierre Coffe campé par deux métonymies. L’une respire la sobriété et l’économie que prétend incarner Leader Price : Coffe est en simple chemise, col ouvert. L’autre est celle du grand père, tête d’œuf et lunettes d’écaille ronde, dont l’expérience lui donne le droit d’émettre un avis même sans être sollicité. Il fixe des yeux le lecteur, selon le même procédé de l’image mise en abyme, pour lui faire la leçon : « Dépenser c’est dépassé » lui jure-t-il d’un air déterminé, dans une autre métonymie de la conviction du maître qui ne souffre pas d’être contredit, tandis qu’il pointe de l’index Leader Price où il prescrit d’aller sans hésiter.
Le jeu de mot « dépenser »/« dépasser » prétend établir une équation de sens par quasi équation de sons, bien dans la veine de la gouaille du pourfendeur de « la malbouffe » qui n’hésite pas à engager sa signature manuscrite, des fois que des passants ne le reconnaîtraient pas. Serait-ce donc que le prix ne fait pas la qualité ? Au besoin, proche des couleurs nationales du pays réputé pour sa gastronomie, l’assortiment de couleurs bleu blanc rouge de l’affiche sollicite en passant la préférence nationale du lecteur, bien que le nom de l’enseigne Leader Price lui soit étrangère.
Reste à savoir surtout si les produits de l’enseigne Leader Price sont bien à la hauteur de la réputation du nouveau prescripteur qu’elle s’est choisi de préférence aux incultes footballeurs. Dans le cas contraire, c’est Jean-Pierre Coffe qui, pour un cachet publicitaire, court le risque de compromettre un crédit acquis pendant dix ans dans l’éducation gastronomique à la portée de tous : ce serait dommage qu’il se fît « bouffer » à son tour, lui qui s’est tant dépensé pour enseigner à ses contemporains la noblesse de l’art de « manger ». Paul Villach
(Source : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-enseigne-leader-price-s-offre-57039 )
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